Un article de Kasper T. Toeplitz sur Jérome Noetinger.
Deux artistes qui ont marqué (et continuent de marquer) le parcours du Lieu multiple
Jérome Noetinger est musicien autodidacte dont l’instrument de prédilection est le magnétophone. À bandes. Ou plus précisément un Revox (si je m’y connaissais un peu plus je dirais que c’est le modèle B77, mais je n’irai pas jusqu’à l’affirmer). Alors non, il ne s’agit pas d’utiliser un magnéto pour enregistrer (que ce soit « le monde » autour de soi ou d’autres musiciens) : Jérome n’est pas un technicien-son, pas plus que producteur dans un studio d’enregistrement ; ce Revox, c’est son instrument au sens classique : ce qu’il trimballe sur scène pour jouer dessus ou avec (ou contre, parfois) une musique dont il ne sait que peu de chose – ou rien – avant de la jouer, le plus souvent dans un cadre improvisé, musique de l’instant. Et Noetinger est un virtuose de son instrument provoquant la même admiration devant la gestuelle, parfaitement fluide et sûre d’elle-même dans le maniement de l’outil que ce que l’on peut apprécier, glorifier, chez un violoniste, guitariste ou tout autre musicien jouant d’un instrument traditionnel. Choix étrange, même si, aujourd’hui, il surprend moins – de nos jours on voit souvent dans les générations plus jeunes de musiciens des gens qui développent leur instrument unique en même temps que leur musique, et deviennent virtuoses sur un assemblage d’objets autant que d’idées n’appartenant qu’à eux – mais Jérome voyage et joue depuis longtemps avec son Revox ; en fait le choix de l’objet se comprend mieux si l’on prend en compte que l’élément déclencheur de son envie de musique fut, il y a longtemps, une émission à la télévision qui présentait le travail du GRM (et, pour la petite histoire, Jérome me racontait que ce n’est que bien plus tard qu’il apprit que celui qu’il voyait y produire des « sons étranges » était Christian Zanési). Il y a donc dans le choix de son instrument l’influence de la musique acousmatique, dont le magnétophone est l’outil fondateur, influence à laquelle Jérome a ajouté l’envie de jouer en direct (donc pas de la musique « sur support » même s’il conservait l’outil, celui qui permet le support – lui qui sort relativement peu de disques, à peine une poignée, et, pour le moment, aucun en solo), et une affinité naturelle pour le DIY, le bricolage du do-it-yourself. Partant de là, et comme pour tout musicien, la définition de la musique que l’on va développer relève d’une double influence : d’une part la pensée d’un monde sonore, et on va plier son instrument à ce désir, lui faire faire ce qui peut-être ne lui est pas évident, mais d’autre part il y a l’influence, le poids ou la pression de l’instrument, et le geste qu’il nous amène à découvrir, geste qui modifie la pensée – tout cela a construit le vocabulaire musical de Jérome Noetinger, une couleur sonore spécifique, reconnaissable malgré la multitude de projets et de collaborations qu’il poursuit, ajoutés aux rencontres d’une fois, qui souvent sont le quotidien des pratiquants de la musique improvisée – ou des musiques improvisées.
Partager :