Pour le Théâtre Paris-Villette : accompagner !
Le Monde.fr | • Mis à jour le
Accompagner n’est pas une mince affaire. C’est croire en même temps qu’un artiste, qu’une équipe, et parfois avant eux, malgré eux, à une recherche. Celui, celle, ceux qui cherchent, craignent de ne pas trouver et craignent aussi de trouver. Ceux qui accompagnent traversent tous ces paradoxes. Directeur de théâtre, c’est peut être cela.
Comme dans le film d’Alain Resnais (« On connaît la chanson »), la vie des paysans en l’an mille au lac de Paladru n’intéresse pas grand monde. Il suffit pourtant de la force d’une passion pour rendre lisibles, émouvants, utiles, des trésors de la culture qui paraissaient obscurs. Etre artiste, être chercheur, c’est peut être cela. Des auteurs, des acteurs, des metteurs en scène ont été au cours de ces dernières années accompagnés dans leurs réussites et leurs échecs, protégés par un lieu : le Théâtre Paris-Villette. Les noms de ces personnes n’ont pas d’importance, pas plus que n’en a celui du directeur de ce théâtre. Ce qui a de l’importance pour la société française, sans aucun doute, c’est de savoir, précisément en période difficile, ce qu’elle décide de sauvegarder et ce qu’elle décide d’abandonner. Certains masters de recherche en université ne seront jamais utiles au monde économique. La question est de savoir s’ils peuvent, oui ou non, continuer d’exister.
La légitimité des cellules du savoir – de la science, de l’art, des langues mortes – est-elle indépendante, oui ou non, de la crise économique. Que chacun aujourd’hui, quelle que soit son activité professionnelle, l’exerce dans une rigueur de dépense qui marque une solidarité indispensable avec l’ensemble de la société d’une part et avec nos voisins européens exsangues d’autre part, c’est la moindre des choses. Mais qu’au moment où l’inquiétude, la peur du lendemain, la panique de la faillite personnelle et collective, peuvent dominer nos vies et nous rendre alors incapables de réagir, de réfléchir, de fabriquer de la vie et de l’espérance pour les générations à venir, qu’à ce moment précis on puisse se passer d’espaces d’intelligence, de respiration, de créativité libre, on peut vraiment en douter.
Le Théâtre Paris-Villette est un laboratoire dont ont besoin ceux qui y vont et ceux qui n’y vont pas. Nous sommes convalescents d’une politique qui a résolument fait apparaître le pauvre comme un voleur potentiel, le chercheur comme un parasite, et toute personne en situation de fragilité comme un profiteur. Cette contagion collective de la paranoïa instituée comme mode de réflexion a donné une vision déformée des problèmes réels. En sortir demande du temps et du calme.
Que beaucoup de choses soient à repenser dans la structuration de la politique culturelle en France, qu’elle ne puisse s’asseoir sur des privilèges et des baronnies de tous bords qui appartiennent à une autre époque, et qu’elle doive se réinventer avec force et imagination, c’est bien possible.
Ceci nécessite un diagnostic calme et honnête. Il sera temps de fermer des lieux de recherche, des refuges du rêve et de la pensée, qui ont tenté de se situer hors de la sphère de la rentabilité, et de juger qu’ils ont eu tort. Encore faut-il, avant, bien examiner ce que nous y perdons, ce que ceux qui naissent aujourd’hui à l’art y perdent. Et qui peut être, n’a pas de prix. Si ces maisons ouvertes où il n’est pas nécessaire de remplir trois formulaires pour avoir les clefs, où l’on peut travailler jour et nuit en trouvant quelqu’un à qui parler, où le calcul n’est pas roi, où l’on peut prendre des risques en n’étant pas jugé d’avance, où l’ambition artistique n’est ni calibrée ni pesée, si ces maisons étaient, en temps de crise, les endroits permettant de protéger sans dépenses somptuaires ce qui compte vraiment : la naissance et la raison même du geste artistique, alors il faudrait, y réfléchir à deux fois.
Darcueil Mohamed Rouabhi, Anne Alvaro, Denis Podalydes, Françoise Lepoix, Joël Pommerat, Benoît Lambert, Frédéric Leidgens, Arlette Bonnard, Eric Watt, Isabelle Lafon, Pierre Meunier, Jean?Paul Delore, Arnaud Meunier, Patrick Pineau, Véronique Aubouy, Clotilde Ramondou, Catherine Germain, Dominique Vladie souscrivent et s’associent à ce texte.
Claire Lasne Darcueil
Partager :